“L’Enfant du Paradis” : un voyage émotionnel de Salim Kechiouche
Le premier film de Salim Kechiouche, “L’Enfant du Paradis”, se dresse comme une œuvre poignante, révélant les profondes dualités de l’Homme. Dans ce film, Salim Kechiouche lui-même incarne Yazid, un personnage complexe dont le passé douloureux et le présent incertain tissent une toile émotionnelle. Une histoire de rédemption, de liens familiaux brisés et d’amour contrarié, “L’Enfant du Paradis” transcende les frontières.
Une odyssée personnelle
L’intrigue s’ouvre sur une note évocatrice, avec des images caméscope montrant un Yazid plus jeune, insouciant, à un mariage. Ces séquences rétro rythment le récit et nous transportent dans son enfance, une époque où l’innocence régnait. À travers ces images, le spectateur découvre sa mère qu’il a perdu très jeune, et dont l’absence impacte sa vie, même s’il pense avoir fait le deuil. Ces archives sont les authentiques vidéos d’enfance et d’adolescence du réalisateur, qui partage de nombreux points commun avec son personnage, puisque lui aussi a perdu sa maman. Il a également confié que son personnage est né suite au décès de son meilleur ami, tué par un accident de scooteur après une fête de fin de tournage. Il confie :
“Ce personnage, c’est mon ami et moi. Tout est mélangé, tout est imbriqué, le réel et la fiction également. Mon ami, c’est vraiment l’inspiration, c’est ce qui m’a donné mon premier souffle pour écrire cette histoire. Ça a été une fusion de nos deux personnes. À l’origine, je ne voulais même pas jouer dans mon film. Mais c’était tellement proche de moi, tellement proche de ma vie que ça aurait été compliqué de transmettre ça à un acteur.”
Yazid lutte pour reprendre les rênes de sa vie. Sobre depuis six mois, il veut prouver à sa nouvelle fiancée, jouée avec brio par Nora Arnezedzer, ainsi qu’à son fils de 16 ans, Hassan (interprété par Hassan Alili), qu’il est devenu un homme différent, un homme en quête de bonheur et de sérénité. Cependant, en quelques jours, les vieux démons ressurgissent, l’entraînant dans un tourbillon de souvenirs de son enfance en Algérie.
Un drame intime
L’Enfant du Paradis est une plongée au cœur de l’intime. La vie de Yazid est complexe et tourmentée, mais Kechiouche parvient à capturer l’essence de son personnage. Les tensions entre Yazid et son ex-femme, interprétée avec force par Naidra Ayadi, reflètent des relations tumultueuses. Les vidéos d’archives mettent en lumière un passé que Yazid semble avoir laissé derrière lui, mais qui continue de le hanter. Les blessures du passé, tout comme les choix que Yazid a faits, ont des répercussions profondes sur ceux qui l’entourent, et les femmes de sa vie souffrent de son comportement erratique. Sa sœur, lui reproche son absence, sa fiancée ses démons et son passé enfoui, son ex-femme son manque de sérieux. “Il change de milieu, et cela est pris comme de l’abandon par les gens de son passé : son ex-femme, ses amis…” explique Salim Kechiouche.
Au delà des difficultés de son personnage, le réalisateur désire également dénoncer une problématique vécu par les acteurs issues de ce milieu. Il témoigne :
“Mon ami l’avait vécu et je l’ai vécu également pour certains rôles. Venant d’un certain milieu, c’est comme si on n’avait pas le droit d’être libre de jouer certains personnages, alors que si c’était d’autres acteurs, il n’y aurait pas de problème. C’est comme si on devait respecter certains codes, une éthique, certains personnages sont respectables et d’autres non. On se sent obligé de représenter quelque chose”
Un portrait nuancé
Salim Kechiouche parvient à rendre Yazid à la fois prosaïque, avec un langage de la rue, une approche de son métier d’acteur peu artistique, mais également poétique lorsqu’il parle de sa mère ou lorsqu’il converse est avec sa fiancée. Cette dualité ajoute une dimension intrigante au personnage, renforçant son humanité. Salim Kechiouche confie :
“[Yazid] est un peu entre deux mondes. Il y a une dimension de transfuge de classe. Lui, venant d’un milieu modeste, banlieusard, avec certains codes, arrive dans un milieu aisé, artistique, avec d’autres codes. Il est comme incapable de se détacher de son passé et culpabilise d’aller vers un avenir plus radieux. Il est étranger à lui-même et n’est pas à sa place. C’est comme si c’était une autodestruction.”
Le film se distingue également par sa réflexion sur la complexité des relations familiales et amoureuses, ainsi que sur le poids du passé. L’utilisation habile de vidéos d’archives offre un regard émouvant sur l’enfance de Yazid en Algérie, tout en servant de toile de fond à son cheminement actuel.
L’Enfant du Paradis est une qui explore avec finesse la dualité. Porté par des performances d’acteurs chargées d’émotions, ce film livre une réflexion profonde sur la rédemption, les liens familiaux et l’influence de son milieu. À travers une histoire touchante, il invite le spectateur à méditer sur la manière dont le passé façonne notre présent, tout en capturant la beauté des rêves et des souvenirs qui nous accompagnent.
À retrouver le 6 décembre au cinéma
Marjolaine Dutreuil
[Source citations : https://www.youtube.com/watch?v=BNHkrpS8F4A&ab_channel=FilmFrancophoned%27Angoul%C3%AAme]
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